Les paysans africains cultiveront-ils le carburant ? Venus de 35 pays, ils étaient 370 experts, savants, investisseurs, grandes entreprises, décideurs, politiques, ONG à se poser cette question. Réunis dans la grande salle de Ouaga 2000 du 27 au 29 novembre 2007, ils avaient tout prévu, sauf l’essentiel : inviter les paysans qui, forcément, seront les premiers concernés par ces nouvelles cultures.
« Bien sûr, ont-ils dit, il ne faut pas que l’Afrique manque le rendez-vous des « bio carburants »… Et d’ailleurs, de nombreuses expériences sont déjà en route depuis que le prix du pétrole a monté, depuis que l’on a compris qu’un jour, le pétrole va finir, surtout à la vitesse qu’on le consomme et qu’on le gaspille dans les pays riches. Et si l’Inde et la Chine s’y mettent, alors, ça va durer encore moins longtemps ! »
Le Burkina y pense, et il n’est pas le seul…
Le Burkina Faso pense déjà sérieusement à transformer les graines de coton en huile-carburant ou en éthanol pour ajouter à l’essence. Cela allègerait la facture pétrolière et éviterait d’exporter des graines brutes, sans plus-value. De petits projets (Boni, Kombissiri) s’intéressent au Jatropha (la pourghère) qui fournit, par pressage, une huile qu’on peut mettre (presque) directement dans les moteurs diesel anciens et ça marche !
Le Sénégal pense à remplacer la culture de l’arachide par celle du tournesol, dont l’huile est très bonne pour faire tourner les moteurs. Beaucoup de pays ont ainsi beaucoup de projets, poussés en cela par des investisseurs extérieurs qui espèrent faire de grands profits sur cette production nouvelle.
Mais voilà, il ne faudrait pas que ces projets viennent détruire nos agricultures et menacer notre souveraineté alimentaire
Il pourrait être dangereux de se lancer dans l’aventure de produire le carburant des riches en oubliant de produire la nourriture des pauvres. Surtout que les terres ne sont pas « élastiques ». Depuis 30 ans, à cause de l’augmentation de la population, les terres mises en culture pour la nourriture ont été multipliées par 2,5, d’après une étude faite au Mali. D’ici 10-15 ans, il faudra encore les multiplier par 2, si toutefois les agricultures africaines n’arrivent pas à augmenter les rendements. Alors, « restons vigilants » !
Il faudrait bien veiller aussi à ce que, pour cette production, les terres restent la propriété des paysans, même si ce sont de grandes sociétés qui viennent avec leurs projets. Un peu comme on fait aujourd’hui avec le coton au Burkina. La SOFITEX ne possède pas les terres et ne peut les saisir. Ce système évite de voler les terres des paysans, évite l’exode rural massif, évite les conflits sociaux.
Il faut veiller aussi à ce que cette production nouvelle profite d’abord à ceux qui produisent et ne soit pas destinée qu’à l’exportation
Qu’elle permette d’alléger la facture du pétrole à nos États, qu’elle permette l’accès pour tous à l’énergie. En particulier par des projets de plates-formes multifonctionnelles alimentées par des groupes électrogènes tournant avec de l’huile produite sur place, comme cela se fait déjà au Mali avec un certain succès, mais pas sans problèmes.
Car les problèmes restent nombreux…attention de ne pas faire porter les risques aux seuls paysans
Les problèmes sont quand même assez nombreux dans cette filière nouvelle de production d’agrocarburants. Certains disent : « C’est en faisant qu’on apprendra », mais il faut faire attention de ne pas faire porter les risques aux seuls paysans…
Pour le Jatropha, par exemple, les termites peuvent le terrasser facilement. On sait comment il pousse en haies, mais pas comment il se comporte en plantation. Quelle presse faut-il utiliser pour avoir un bon rendement ? Etc.
Sur le continent africain, le soleil est généreux et la terre produit abondamment plantes, herbes et arbres : tout cela pourra produire un jour du carburant. Souhaitons que ce don du ciel puisse être mis en valeur, et le plus vite possible. D’abord avec les plantes qui donnent de l’huile, carburant direct des moteurs, puis avec les plantes qui donnent du sucre, pour fabriquer de l’éthanol qu’on ajoute à l’essence, enfin avec tout le reste qui, un jour, sera transformé en énergie. Et tout cela pourra se faire si, et seulement si, en plus de tous les acteurs présents à la conférence internationale, les paysans sont vraiment mis dans le coup et qu’ils y trouvent un intérêt légitime. Et si cela ne les empêche pas de produire d’abord de quoi manger !
Source : extraits d’un article publié sous le titre « Burkina Faso : Droit dans les yeux – Biocarburant – Produire d’abord à manger » dans Le Pays (Ouagadougou), le 22 janvier 2008.
René Massé