Massé, René. Paris : Gret, 2005, 108 p. Extrait de la collection Études et travaux en ligne, n° 3
A la fin du XIXème siècle, en pleine période de développement économique, les villes s’éclairent tandis que les villages restent dans l’obscurité. Pour les notables ruraux, il est évident que le marché de l’électrification rurale n’attirera pas spontanément les capitaux privés des entreprises d’électricité. Ils vont donc prendre l’initiative d’engager les communes dans le processus d’électrification, pour assurer d’abord l’éclairage public, puis la fourniture d’électricité aux citoyens. Les zones rurales ne seront pas électrifiées, elles s’électrifieront par elles-mêmes.
Et l’État ? Il suit ! Pendant toute cette période d’initiation, et pratiquement jusqu’en 1923, l’État légifère, régule, contrôle, mais ne s’engage pas de façon décisive. En 1900, le Conseil d’État admet la création de régies municipales d’électricité… sur le modèle de celles qui, de fait, existaient déjà. Une loi de 1920 crée les Sociétés d’Intérêt Collectif Agricole d’Electricité (SICAE) pour donner un statut opérationnel aux coopératives électriques créées spontanément par les fermiers. Au début du XXème siècle l’État commence à s’impliquer financièrement ; ses institutions financières (et en particulier la Caisse des Dépôts et Consignations et le Crédit Agricole) accordent des avances aux départements et collectivités locales pour financer leurs investissements. Mais ces subventions publiques indirectes ne sont pas déterminantes, et l’État évite de s’engager en risque, exigeant des collectivités locales bénéficiaires qu’elles garantissent les emprunts sur leur budget communal, à charge pour elles de répercuter les frais financiers sur les tarifs, voire d’appliquer un impôt local. En échange, les collectivités locales se voient reconnaître en 1906 l’Autorité concédante.
La loi du 2 Août 1923 définit les modalités de subvention de l’électrification rurale par l’État. Le Trésor public financera un régime d’avances à l’Office national de crédit agricole, à charge pour le Crédit agricole d’allouer ces subventions d’État aux Régies d’électricité et aux SICAE exclusivement. Les entreprises privées ne seront pas aidées financièrement. Jusqu’en 1936, la France n’aura pas à proprement parler UN mécanisme de financement de l’électrification rurale, unifié et consistant, mais toute une panoplie de lignes de financement.
A partir de 1923, le volume de subventions d’État à l’électrification rurale progressera de façon continue et ininterrompue pendant une vingtaine d’années. A la fin de 1940, le montant total des dépenses engagées s’élevait à plus de 8 milliards de francs sur lesquels la part de l’État représentait 3,372 milliards accordés au titre de subventions et 700 millions à titre d’avances à taux réduit », soit une subvention globale de l’État supérieure à 50% pendant près de vingt ans.
Les résultats sont éloquents : en 1932, on dénombre 1163 régies municipales et environ 1 600 syndicats intercommunaux ; la même année, 80% des communes françaises sont électrifiées. Cinq ans plus tard, 96% des communes et près de 90% de la population ont l’électricité.
L’histoire se continue avec, le Front populaire qui créé le Fonds d’Amortissement des Charges d’Electrification (FACE), dans sa loi de finance de décembre 1936, « pour alléger les charges communales et départementales d’électrification »… mais aucunement pour se substituer à ces financements publics locaux. Puis éclate la seconde guerre mondiale…
Cette étude de cas se poursuit de cette façon synthétique jusqu’à nos jours, et se termine par quelques analyses sur les leçons à retenir pour concevoir aujourd’hui des programmes d’électrification rurale dans les pays qui en sont encore dépourvus.
René Massé