Les douze entreprises à l’origine de la Fondation Desertec ont signé vendredi 30 octobre 2009 à Munich les statuts de la société DII GmbH. Elle sera chargée de piloter les investissements pour la construction d’un vaste réseau centrales solaires à concentration et de parcs éoliens s’étendant du Maghreb au Moyen-Orient. Ce projet, dont le budget est estimé à près de 400 milliards d’euros vise à couvrir 15 % des besoins en énergie de l’Europe et « une part considérable » de ceux des pays producteurs d’ici à 2050. Les infrastructures de transport de l’énergie vers l’Europe coûteront à elles seules 50 milliards
DESERTEC est une initiative industrielle unique en son genre menée par 12 entreprises, dont les allemands Siemens, Solar Millennium, Munich Re, RWE, SCHOTT Solar, ou encore l’espagnol Abengoa et le suisse ABB.
Un concept révolutionnaire pour un projet pharaonique
Le concept DESERTEC vise à produire de l’électricité solaire et éolienne dans les déserts d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, et à construire les réseaux de transport pour alimenter ces régions et les pays européens.
Ainsi, le projet DESERTEC prévoit l’installation d’une vingtaine de centrales solaires de 5 GW chacune. Soit environ 100 GW, presque autant que la capacité de production électrique française. Selon ses promoteurs, DESERTEC pourrait fournir 15% des besoins en électricité de l’Europe en 2050.
En comparaison, la plus grosse centrale thermique actuelle se trouve au Portugal et a une puissance maximale de « seulement » 46 MW…
Un projet en train de se concrétiser
La Coopération Trans-méditerranéenne pour les Energies renouvelables (TREC) a été fondée en 2003 par le Club de Rome, la Fondation Hambourgeoise pour la Protection du Climat et le National Energy Research Center de Jordanie (NERC). En coopération avec le Centre aérospatial allemand (DLR), TREC a développé le concept de DESERTEC et réalisé les recherches nécessaires.
De 2004 à 2007, TREC a initié trois études sur financement allemand, dirigées par le Centre Aéronautique et Spatial allemand. qui ont permis :
d’évaluer le potentiel des énergies renouvelables dans le Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA),
d’évaluer les besoins attendus pour 2050 en eau et en énergie dans ces pays et
d’étudier la faisabilité d’une construction d’un réseau de transport électrique entre l’Union européenne et le MEN.
En juillet 2009, douze sociétés ont créé la Fondation DESERTEC, chargée de rassembler les partenaires industriels et donner corps à ce projet.
Le 30 octobre 2009, ces membres fondateurs de la Fondation ont donc signé les statuts de la société Dll GmbH, nommé son Directeur M. Paul van Son. L’objectif de cette société est désormais de
Ce projet déclenche déjà de nombreuses polémiques
Certains experts le trouve sur-dimensionné, d’autres redoutent une forme de néocolonialisme. Les débats ne sont pas clos et les questions nombreuses :
Ce projet se fera-t-il au détriment des populations locales pauvres ?
Le projet DESERTEC vis aussi à développer les pays du MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), en assurant « une part considérable » de l’approvisionnement en électricité de ces pays, en dessalement l’eau de mer pour fournir ces pays en eau potable et en participant au développement de ces pays.
De plus, une entreprise nord-africaine figure actuellement parmi les signataires de Desertec : le groupe agro-alimentaire algérien Cevital, l’une des grandes entreprises d’Algérie, spécialiste d’huile et de margarine. A noter aussi la présence lors de la signature du protocole d’accord de représentants de la Ligue arabe et du ministère égyptien de l’énergie.
Ce projet rendrait-il l’approvisionnement de l’Europe dépendant de pays à la stabilité limitée ?
Le leader allemand du solaire, Solarworld résume les avis des sceptiques en expliquant que « construire des centrales solaires dans des pays instables conduit à une dépendance similaire à celle qui existe déjà vis-à-vis du pétrole. » Cette initiative fait ainsi de l’Afrique du Nord un centre stratégique essentiel pour l’approvisionnement énergétique, un « nouvel Eden » qui pourrait créer de fortes tensions dans ces régions à la stabilité déjà précaire…
Du fait d’éloigner fortement la production de la consommation d’électricité, quelles seront les pertes engendrées ?
Le transport d’électricité se fera par câbles sous-marins à courant continu haute tension (CCHT), n’engendrant des pertes qu’ à hauteur de 3% pour 1 000km de distance.
De plus, cet approvisionnement nécessite un fort maillage du réseau, et le développement actuel des smart grids (réseaux géants de distribution intelligents) pourraient gérer ce réseau d’une grande complexité.
Le sable, un corrosif puissant
Le pire ennemi des panneaux solaires sera peut-être le vent de sable qui va les dépolir et les rendre inopérants rapidement. Les technologies sont en pleine mutation et de nombreuses avancées sont à même de résoudre ce problème.
Ce nouvel approvisionnement amènera-t-il des instabilités lors des pics de la demande ?
Les CSP (centrales héliothermiques à concentration ) produisent de la chaleur qui est turbinée pour produire de l’électricité. En cas de pics de consommation, ces mêmes turbines peuvent être alimentées avec des biocarburants ou de gaz. La CSP peut ainsi produire de l’électricité en fonction des besoins, contrairement aux centrales éoliennes et photovoltaïques qui ont besoin de centrales d’appoint à charbon, à gaz ou hydroélectrique pour passer les pics.
Ce projet titanesque est-il réaliste financièrement ?
Le coût est estimé à quelque 400 milliards d’euros, dont 350 milliards pour les centrales elles-mêmes et 50 milliards pour les réseaux de transmission électrique.
L’Union européenne, poussée par l’Allemagne qui a fait de ce projet le sien, devrait être mise à contribution. C’est en tout cas ce qu’a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui ont déjà salué l’initiative et indiqué que l’UE pourrait apporter des crédits.
Mais l’échéance du projet est à 2050, et le projet doit encore être plus abouti pour discuter des financements.
De nombreux bénéfices environnementaux et de co-développement sont attendus
Pour résumer, outre les perspectives commerciales s’offrant aux entreprises, il faut noter que ce projet entrainera de nombreux avantages :
- Une sécurité énergétique renforcée dans les pays EU-MENA (Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord) ;
- Des perspectives de croissance et de développement pour la région MENA grâce aux énormes investissements réalisés par les investisseurs privés ;
- Une garantie du futur approvisionnement en eau potable dans les pays du MENA grâce à l’utilisation du surplus d’énergie dans des usines de dessalement d’eau de mer ;
- Une réduction des émissions de carbone et, donc, une contribution non négligeable pour soutenir les objectifs de protection du climat de l’Union européenne et du Gouvernement allemand.
Pour en savoir plus
Visiter le site de DESERTEC (en anglais et allemand), et/ou prendre connaissance des grandes lignes du projet dans la présentation en français proposée ci-dessous.
Sources : un article publié le 5 novembre 2009 sur le site Sequovia.
René Massé