mardi 4 septembre 2007

Biocarburants : options stratégiques pour les pays ACP producteurs de cannes à sucre

La production de biocarburants représente une planche de salut pour tous les pays ACP producteurs de sucre qui sont affectés par les réformes de l’Union européenne entrées en vigueur en juillet 2006.

Auteur :
M. Maureen R. Wilson (PhD)
maureen.wilson@jamaicasugar.org

Sugar Industry Research Institute, Kendal Rd, Mandeville, Jamaïque

Avec la mise en application imminente du nouveau régime du sucre, les industries ont commencé à se restructurer afin de survivre et d’éviter leur fermeture. Le facteur commun à tous ces plans de restructuration est la production d’énergie. Celle-ci est couramment considérée comme attractive, pas simplement en raison des prix élevés des carburants fossiles mais aussi du fait des bénéfices environnementaux. Dans la région des Caraïbes, la Jamaïque a annoncé des plans afin de lancer la production d’éthanol pour le secteur des transports. La Barbade a indiqué qu’elle augmenterait la superficie consacrée à la production et qu’elle planterait davantage de variétés de canne à combustible afin d’utiliser la bagasse pour la génération d’électricité, tout comme elle a affirmé sa volonté de produire 24 millions de litres de combustible éthanol. Le Belize ainsi que le Guyana prévoient aussi d’introduire la cogénération et Saint-Kitts, qui avait arrêté son industrie, envisage sa réouverture, en partenariat avec des sociétés étrangères afin de transformer sa production de canne à sucre en bioéthanol. Dans la région africaine, l’industrie sucrière mauricienne a intensifié ses recours à la biomasse de canne à sucre pour la génération d’électricité et, par là même, accru sa part dans l’approvisionnement en électricité du réseau national (Autry, 2004 ; Avram, 2004). La Zambie et le Malawi ont débuté la production de biodiesel à partir d’une plante oléagineuse, le jatropha.

Les biocarburants peuvent être produits sous forme liquide, solide ou gazeuse en fonction de la matière brute et de la technologie de conversion employées. La matière brute habituellement appelée biomasse comprend de la matière végétale renouvelable, des arbres, des herbacées, des plantes de culture ou des déchets animaux. La canne à sucre est l’une des espèces les plus efficaces du monde végétal en termes de production de biomasse (Brumley, 2007) et, pour cette raison, nombreux sont ceux qui voient dans la canne à sucre la plante du futur du fait de son potentiel bioénergétique, dans un monde où les réserves de pétrole sont limitées (Amorim, 2005). La canne à sucre peut aussi être produite à l’aide de la bio-ingénierie afin de fournir de plus fortes concentrations en sucre, des alcools de sucre ainsi que des précurseurs chimiques des bioplastiques (Brumley, 2007). Le plan de réforme du sucre vise à s’assurer que la production de biocarburants ainsi que la production de carburants présentant une « neutralité carbone » dérivés de plantes agricoles et pouvant être utilisés pour remplacer partiellement les produits pétroliers liquides n’affecteront pas défavorablement la chaîne alimentaire approvisionnée par ces mêmes plantes. Le sucre utilisé pour la production d’éthanol, aussi bien par les industries chimiques que par les industries pharmaceutiques, sera exclu des quotas sucre (voir le plan de réforme du marché du sucre mis en œuvre par la Commission européenne ici) (EN).

Pendant des siècles, les moulins ont récupéré les résidus de canne à sucre, que l’on appelle la bagasse, pour la génération d’énergie. De grosses quantités de biomasse (60-80 t/ha) sont produites et, en se concentrant davantage sur l’efficacité énergétique et la mise en œuvre de nouvelles technologies ainsi que sur l’optimisation des procédés, l’énergie générée à partir des surplus de bagasse peut être vendue au réseau national d’électricité, dans la perspective de revenus supplémentaires (Morris, 2002 ; Turn, 2002). La station de génétique sucrière des Caraïbes (WICSCBS) a développé, en utilisant des techniques d’amélioration génétique conventionnelles, une variété de canne appelée « canne à combustible » en raison de sa teneur élevée en biomasse (Albert-Thenet, 2004). L’utilisation de cette canne permettra d’associer la production de sucre à la mise en place d’une cogénération utilisant la bagasse comme combustible, étant donné qu’il y aura encore plus de biomasse après avoir broyé la canne à sucre pour en extraire le jus. Le jus peut être utilisé pour la production de bioéthanol ou de sucre. La Jamaïque et le Belize ont placé dans des pépinières de cannes à combustible une variété en préparation pour son expansion commerciale.

Dans certaines industries sucrières, les techniques de fermentation sont bien développées étant donné que l’on y produit du rhum depuis des centaines d’années et, par conséquent, produire de l’éthanol pour en faire du carburant serait une transition logique et simple pour ces industries. Le Brésil et les États-Unis sont les leaders mondiaux en matière de production de carburant éthanol et ceci grâce à d’importants investissements et efforts de recherche. L’industrie brésilienne utilise la canne à sucre comme matière première tandis que les États-Unis emploient de l’amidon de maïs. Le sucre et l’amidon sont considérés comme la première génération de substrats pour la production d’éthanol. L’hydrolyse de la lignine aboutit à la formation de sucres qui peuvent ensuite être fermentés pour obtenir de l’éthanol et, de ce fait, on classe les sources cellulosiques du sucre dans la catégorie des substrats de seconde génération (Junginger, 2006). Diverses cultures sont actuellement plantées pour leur forte teneur en cellulose, telles que le manioc (Manihot esculenta) et le panic raide (Panicum virgatum). Les conditions climatiques dominantes dans les pays ACP permettent de cultiver ces plantes durant toute l’année, voire parfois plusieurs espèces dans l’année.

La communauté scientifique a su faire face, au fil des années, au besoin de trouver des solutions viables aux problèmes de la planète et la question de la réduction des gaz à effet de serre se pose de manière urgente en tant que stratégie d’atténuation pour les changements climatiques. Il est avéré que la technologie cellulosique requise pour fractionner les fibres récalcitrantes est à l’heure actuelle très coûteuse mais elle évolue rapidement (Junginger, 2006 ; Jolly, 2006), ce qui devrait permettre de la rendre plus accessible d’ici à cinq ans (Bullion, 2006). Le recours à des résidus de plantes agricoles à des fins énergétiques plutôt qu‘aux plantes devrait réduire l’opposition entre plantes source d’énergie et plantes source d’alimentation. Les scientifiques qui cherchent actuellement de nouvelles enzymes afin de dégrader la cellulose contenue dans la matière organique (les bois des conifères et les déchets agricoles, la paille de blé) en sucres développent de nouvelles souches de levure et produisent des mélanges d’enzymes agissant de façon synergique afin de convertir tous les sucres contenus dans la cellulose en éthanol (Knauf, 2004) et si possible accroître la production de coproduits de plus grande valeur (Wermer, 2006). Au même moment, les ingénieurs et les techniciens en charge du contrôle de fabrication développent des systèmes de gestion avancée de l’énergie dans le but de réduire la quantité d’énergie utilisée dans le processus de fabrication du bioéthanol et d’atteindre un taux d’efficacité énergétique de 95 % via le procédé ZeaChem, qui dépasserait les 46 % obtenus avec des méthodes traditionnelles (Edye, 2004).

La société de biotechnologie Renessen a testé un hybride de maïs génétiquement modifié qui, grâce à une technique novatrice de séparation du maïs séché conçue pour une unité d’éthanol, permettra d’obtenir un éthanol plus facilement fermentable (Bullion, 2006). Cela accroîtra la rentabilité du maïs pour les agriculteurs et stimulera la production d’éthanol. La commission de biosécurité du Brésil a donné son aval au Centre de technologie cannière (CTC) afin de lancer les essais en plein champ de cannes transgéniques qui ont révélé un contenu en sucrose supérieur d’au moins 15 % à celui des variétés traditionnelles (voir cet article en anglais). Le gouvernement indien est lui aussi intéressé par cette technologie et a déclaré qu’il entamerait des négociations avec le Brésil afin de pouvoir participer d’une manière ou d’une autre à sa mise en œuvre.

L’Union européenne n’est pas autosuffisante sur le plan alimentaire et pourrait ne jamais l’être en ce qui concerne la production de biocarburants. Par conséquent, elle aura besoin d’importer. À l’heure actuelle, le biodiesel est produit à partir d’huile de colza et de bioéthanol provenant du sucre de betterave et ce dans des quantités permettant de couvrir 3 % de ses besoins, d’où l’opportunité pour les pays ACP de pouvoir fournir du bioéthanol et du biodiesel à leurs partenaires commerciaux de longue date. Les pays ACP doivent se montrer agressifs en termes de recherche de technologies nouvelles et utiles pour produire des biocarburants de manière rentable, efficace et durable car ceci pourrait très vite les amener à être autonomes sur le plan énergétique et à approvisionner ou bien à conserver leurs marchés extérieurs.

D’autres pays sont en train d’introduire des règlementations concernant l’ajout d’éthanol dans l’essence pour le secteur des transports. Il est important pour les gouvernements nationaux au sein du groupe ACP de mettre en place la législation nécessaire autorisant la production locale et l’usage des biocarburants (par exemple, l’ajout d’éthanol dans l’essence ouvrira les marchés domestiques pour le bioéthanol et l’usage du biodiesel). Le développement et la mise en œuvre de politiques en faveur de la promotion de la bioénergie sont primordiaux afin de garantir le succès de l’industrie des biocarburants (Janssen, 2002). Ce type de législation a été le moteur de la croissance et de l’expansion rapides de l’industrie du bioéthanol au Brésil (Amorim, 2005) et c’est ce qui est en train de stimuler l’industrie des États-Unis (Janssen, 2002). En 2005, l’île Maurice a introduit une politique visant l’abandon progressif du charbon en tant que combustible d’appoint pour la production d’électricité afin de le remplacer par des biocarburants solides, et à encourager la production d’éthanol en vue de réduire la demande d’essence. Cela a contribué à la prospérité du secteur.

Dans les pays ACP, les biocarburants sont déjà produits localement par les agro-industries autochtones qui utilisent pomme de terre, maïs, manioc, agrumes, banane, sucre de canne, balles de riz, eaux usées domestiques, huile de palme, sorgho, jatropha ainsi que toutes sortes de déchets biodégradables. L’avantage est que l’argent dépensé dans les combustibles importés continuera de circuler au sein de l’économie nationale. La production de biocarburants offre des opportunités pour les petites, moyennes et grandes entreprises. La production de combustible pour les transports et la génération d’électricité seront susceptibles d’être pris en charge par un ensemble de petites et moyennes entreprises. Pour ce qui est de l’éthanol, on utilisera un mélange de bagasse, de bois et de biogaz. La production de biogaz peut être assurée par les petites entreprises telles que les fermes, les complexes de bureaux, les immeubles d’habitation, les travailleurs indépendants et les ménages. Les huiles végétales ainsi que les huiles de cuisine usagées peuvent être fermentées afin de produire du biodiesel, un substitut du diesel.

Une production agricole élevée donne lieu à un travail intensif dans de nombreux pays en développement, et de ce fait accroît l’emploi et procure des revenus aux populations rurales. Préserver les moyens de subsistance en milieu rural est une question d’importance capitale. La production de plantes de culture pour les biocarburants promet une efficacité et une durabilité améliorées dans la façon dont la terre est utilisée puisque les terres marginales peuvent servir à faire pousser ces plantes, comme c’est le cas en Inde avec le jatropha, une plante qui donne des noix à forte teneur en huile, lesquelles sont utilisées pour la production de biodiesel (voir le site en anglais consacré au Jatropha http://www.jatrophabiodiesel.org/). Un encadrement strict de ces projets doit être opéré afin d’atteindre une récolte optimale ainsi qu’une productivité élevée étant donné que certains facteurs agronomiques tels que l’augmentation rapide du prix des engrais peuvent influer négativement sur leur application correcte. De la même façon, le ramassage des récoltes et la gestion de l’eau disponible sont également cruciaux si l’on veut obtenir une production maximale. L‘enlèvement des résidus agricoles peut aussi influer négativement sur la structure des sols et favoriser l’érosion tout en causant des dommages à l’écosystème. Par conséquent, des stratégies de gestion des résidus de culture doivent être mises en œuvre à des fins de développement durable (Lal, 2006).

Le défi pour les pays ACP consiste à trouver des ressources afin de passer à une production de biocarburants à grande échelle, en acquérant la meilleure technologie et les meilleurs procédés disponibles. Une technologie de pointe permettant de maximiser les bénéfices par rapport aux coûts sera nécessaire sachant qu’il s’agit peut-être là d’un projet intensif de grande ampleur. Les pays ACP n’ont pas les moyens de financer de tels projets. Le gouvernement brésilien préconise ainsi des partenariats pour la production de biocarburants entre les pays développés et en développement, qui peuvent constituer un pas en avant vers l’atténuation de la pauvreté et vers le développement rural ainsi que la réduction des gaz à effet de serre. Durant le mois de février 2007, le partenariat entre les gouvernements jamaïcain et brésilien s’est intensifié grâce à la signature de plusieurs accords pour une assistance technique à la production de bioéthanol. Le Guyana a signé un accord similaire avec le Brésil (voir l’article en anglais diffusé sur cette page de Spore.

Les États-Unis sont en train de faire équipe avec le Brésil afin de mettre en place des programmes pilotes concernant l’éthanol dans les pays d’Amérique latine ainsi qu’aux Caraïbes. Quatre autres pays, dont Saint-Kitts-et-Nevis (membre ACP), sont sur la liste des candidats principaux retenus par la Banque interaméricaine de développement (voir http://www.miamiherald.com/579/story/59837.html) (EN). Tandis que de plus en plus de pays s’engagent dans la production et l’exportation subséquente de biocarburants afin de couvrir la demande provenant des pays développés, le besoin de standardisation devient urgent. Le Brésil et les États-Unis sont responsables de 70 % de la production mondiale d’éthanol et, à ce jour, ces deux pays travaillent ensemble pour établir des normes communes concernant l’éthanol en définissant des niveaux d’impuretés et de résidus solides. Le bioéthanol est obtenu à partir d’amidon, de sucre, de biodiesel issu de diverses variétés d’huiles végétales et, de ce fait, il est important que des règles soient élaborées pour obtenir leur certification, et cela même si le monde est en attente d’une production de masse d’éthanol à partir de matières cellulosiques. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) doit aussi établir des règles et des normes concernant les futurs échanges de biocarburants, notamment en ce qui concerne leur classification parmi les biens agricoles, industriels ou environnementaux (voir cet article en anglais de Reuters). Les scientifiques des pays ACP doivent être préparés à conseiller les gouvernements et à participer à ce processus.

Il s’agit d’un grand moment pour les pays ACP et plus particulièrement pour ceux qui produisent du sucre car les perspectives sont ouvertes quant à la production de plantes agroénergétiques et la conversion des déchets agricoles en biocarburants. Un nouveau cycle de prospérité est possible mais il convient de méditer les leçons des systèmes antérieurs. L’industrie sucrière est en train de s’approcher de nouveaux territoires et cela crée pour elle une occasion de se diversifier tout en participant à de nouveaux marchés qui pourront déboucher sur un développement social et rural. En effet, les bénéfices réalisés par les industries des biocarburants s’accumuleront du fait de la hausse de l’emploi et des revenus, générant débouchés, sécurité énergétique, développement des infrastructures, compétences, ressources humaines et formation tandis que de nouveaux emplois seront créés au sein des industries assurant la production d’énergie agricole. Le développement des biocarburants nécessitera une gestion prudente ainsi que le soutien du secteur public (Hazell, 2006). Il est essentiel que les gouvernements mettent en place la législation nécessaire (Jolly et Woods, 2006) afin de réglementer l’usage des biocarburants produits localement (Amorim, 2005). Cela permettra aussi de donner aux investisseurs un sceau d’approbation concernant cette activité. Des partenariats clés sont indispensables et des alliances stratégiques devront être recherchées avec les sociétés productrices d’enzymes, les entreprises de biotechnologie, les grandes sociétés dans le domaine de l’énergie et bien entendu, là où c’est possible, avec le leader mondial, le Brésil, dont le gouvernement est relativement disposé à partager la somme de ses compétences avec les pays en développement.

 

Références

 

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Pépin Tchouate, René Massé

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